Le Chemin d’Art Sacré 2025

Si vous avez prévu un voyage en Alsace entre juin et octobre 2025, ne manquez pas les étapes du Chemin d’Art Sacré 2025 à la rencontre d’oeuvres contemporaines dans quelques-unes des plus belles églises d’Alsace. Vous trouverez ici toutes les informations pour le parcours 2025, mais aussi l’historique et les étapes de ce parcours coups de coeur. Le thème de cette année est d’une grande actualité:

Naître et renaître

Depuis de nombreuses années, Véronique Isenmann, écrivain, tisse un dialogue intime entre les oeuvres d’artistes et artisan-es contemporain-es et le texte biblique.

L’artiste peintre Sophie Bassot et le céramiste Philippe Sutter l’ont invitée à déployer avec eux les sens du thème 2025 « Naître et renaître », à le conjuguer avec un lieu d’étape sublime, l’église Saints-Pierre-et-Paul à Rosheim, joyau de l’art roman en Alsace.

Toile de Sophie Bassot et Médicis de Philippe Sutter
De la Source au Calice Toile de Sophie Bassot & céramique Médicis de Philippe Sutter

Audacieuse conjugaison entre leurs oeuvres résolument lumineuses au coeur d’un monde sombre et la relecture des visions folles d’espérance du prophète Ezéchiel.

Les 3 artistes seront présents au vernissage le 5 juin prochain, une occasion unique de les rencontrer

Des imperdables pour partager les cultures religieuses

Imperdable ou épingle à nourrice en Suisse, dans un poirier en fleurs
Imperdable dans un poirier en fleur – Crédit Photo #cactusse64

Nous avons conçu un ensemble d’Imperdables, des jeux de cartes pédagogiques pour outiller les enseignants et animateurs en culture religieuse ainsi que toute personne chargée de transmettre des connaissances de cultures religieuses.

L’expérience Imperdables conjugue les talents de bibliste et de formatrice d’adultes de Véronique Isenmann aux talents d’enseignante et de conteuse de Léa Souccar-Lecouvoisier.

Partant du constat que les connaissances en matière de cultures religieuses ne vont plus de soi, que par ailleurs les enseignant-es en culture religieuse peinent à accéder rapidement à une information fiable, agréable à utiliser, laïque et inclusive, elles ont développé le projet Imperdables et proposent une formule qui répond tout à fait à ce besoin.

En phase de test, le premier set d’Imperdables est destiné aux enseignants de culture religieuse chrétienne et centré sur les évangiles. Après la phase de test, plusieurs sets d’Imperdables au format bridge 58 x 89 mm seront disponibles dès l’automne 2025 autour d’autres grands thèmes et figures des 3 religions abrahamiques

N’hésitez pas à nous contacter si vous êtes intéressé-e.

Le Guanacaste au Costa Rica

Une région qu’il m’a été donné de découvrir grâce à Samuel Isenmann, qui a travaillé avec des femmes essentiellement migrantes nicaraguayennes, vivant dans une grande démunission matérielle et psychologique. Il était impliqué dans un projet d’empoderamiento, de changement communautaire de la vie des femmes et m’a invité à faire une supervision de son travail.

C’était l’occasion de renouer avec une spécialiste en pédagogie de la transformation, Anne Robert, avec qui nous avions fait connaissance à Goma! L’une de ces rencontres improbables à l’Université Libre des Pays des Grands Lacs qui a scellé une collaboration fructueuse. De nos tissages sont nés des projets communs directement inspirés des désirs et des compétences des personnes avec qui nous avons travaillé au Niger et au Congo: transmission intergénérationnelle des savoirs  autour de la terre et des semences, banques alimentaires.

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Ces regards croisés nous ont permis de vérifier que les approches que nous avons développé précédemment se fécondent mutuellement entre les 2 continents. L’énergie et la pratique latino-américaine de l’empowerment conjuguée à la mémoire et la capacité de transformation des héritages africaines renforcent nos démarches. Les liens qui se sont tissés peu à peu et pour un temps dans un véritable échange et une « contamination » mutuelle des désirs, des savoirs et des compétences entre l’Afrique et l’Amérique centrale ont été source de joie et d’étonnement émerveillé.

Les collègues d’Amérique latine sont héritiers d’une longue et forte tradition d’éducation populaire et de pratiques innovantes, dont les approches développées par Paulo Freire ou le Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal, Elles ont largement contribué à renforcer mes pratiques et démarches pédagogiques.

Le Costa Rica a accueilli aussi des volontaires suisses dans le cadre de projets d’études ou de vie. Ils ont pu vivre et penser les diversités et droits culturels avec une équipe compétente et un cadre familial exceptionnel dans la maison d’accueil d’Ana-Laura.

L’Est du Congo vit avec les groupes armés, les temps de guerre, les exactions des groupes rebelles depuis plus de 20 ans.

Dans un univers d’une violence ordinaire et quotidienne, le corps des femmes est devenu un charnier sans nom. Et les hommes, les pères de famille, les fils, ont été mis à genoux et bâillonnés dans le silence de leur impuissance à protéger les leurs.

Et tisser des liens de confiance et de respect
Tisser des liens de confiance et de respect – Photo Chloé Lambert pour l’ong Epiceries

C’est au Nord-Kivu, dans ce contexte de violence extrême, que depuis 2011 l’asbl SVP m’a demandé de développer une pédagogie  de la résilience. Une approche basée sur la prise en charge communautaire des traumas, et un développement d’agir qui permet de dépasser les tensions entre les groupes ethniques, les luttes féroces pour le partage de la terre; et de travailler ensemble à restaurer le corps social.Nous avons fait  jour après jour l’expérience que l’éducation populaire ancrée dans les droits culturels en tant que Droits de l’humain,  définis dans la Déclaration de Fribourg et par l’Unesco, transforme radicalement le désespoir, la haine et l’impuissance et permet de poser les jalons d’une démocratie de personnes responsables, debout, engagées ensemble, chacune à leur niveau, et dans une réciprocité effective, pour le bien commun et pour la paix.

La région de l’Arewa au Niger

La région de l’Arewa au Niger

Les responsables de la Sofema en plein apprentissage de l'éditeur d'équation
Mettre les nouvelles technologies au service des Paroles de femmes.

Les femmes de Femmes et Solidarité de l’Arewa, SOFEMA, sont à la source de toute la pédagogie populaire sur l’empowerment communautaire, le développement du pouvoir d’agir ensemble. Des projets communautaires forts ont changé la vie des femmes et des villages tels les projets de solidarité économique, les banques céréalières, le projet charrettes, le projet Rues propres, l’accompagnement des filles-mères.

La structure en étoile, avec un comité central à Dogondoutchi, et des comités villageois autonomes, la responsabilité collective du remboursement des micro-crédits, la liberté de décision au niveau local,  a grandement favorisé et largement contribué à une meilleure vie ensemble et à l’apprentissage d’une démocratie forte, au sens d’une prise de parole et de décision responsable et engagée au niveau local. Plus de respect de la part des hommes envers les femmes, une plus grande confiance des femmes en leurs capacités, un travail collaboratif entre les femmes et les hommes de bonne volonté. Après 20 ans, les membres de la SOFEMA étaient actives dans 35 villages et un village de femmes migrantes et touchaient 250’000 personnes.

Après 2017 la situation dans la région a beaucoup changé. Boko Haram a semé la terreur, les hommes ont pris peur pour leurs femmes, leurs familles, l’accompagnement des comités villageois est devenu quasi impossible et le travail de 20 ans est profondément perturbé. Mais l’esprit SOFEMA inspire encore nombre de mes accompagnements.

Laniakea, Lumière du Galetas

Laniakea, Lumière du Galetas

Un conte en scène pour les 20 ans d’une association

L’association urumuri a souhaité pour ses 20 ans relire son histoire, les défis qu’elle a relevé, les chances, les joies. Elle a voulu faire la mémoire du passé, en tirer les apprentissages, pour imaginer une mémoire de l’avenir qui dessine les contours des prochaines années.

Un groupe de travail très motivé s’est mis en route. Un spectacle participatif en est né qui a vu le jour en novembre 2023. Il raconte la naissance du Galetas, le lieu du Big Bang d’urumuri, et son évolution à travers le prisme de Laniakea, le nom d’un amas de galaxies,

Le Galetas est au centre de l’univers urumuri. Urumuri signifie lumière. Cette lumière vient du Galetas pour éclairer urumuri, et en même temps le Galetas reçoit sa lumière de Laniakea. Mais le Galetas ne peut pas se suffire en soi, d’autant plus que le galetas physique a disparu. IL ne peut pas se nourrir de sa propre lumière. Ni auto-générer le rayonnement de urumuri. 

Il lui faut un cette dimension que d’aucuns appelleront spiritualité, foi et…. qui à la fois permet de ne jamais perdre de vue ce qui est essentiel, ce qui permet la fécondation du présent et qui donne la force du parcours de résilience, pour soi et pour les autres, quand rien en va plus.

Pour les navigateurs hawaïens, ce quelque chose qui leur permettait de ne pas sombrer, de garder le cap, de poursuivre leur quête, c’était cet horizon céleste infini, ce paradis incommensurable: Laniakea. Laniakea est le nom qu’a donné par une astrophysicienne française, Hélène Courtois. C’est un amas de galaxies très lointain, un endroit avec plusieurs galaxies proches les unes des autres. Laniakea.

« Après le système solaire, il y a notre galaxie, la Voie Lactée, incluse dans un Groupe Local, lui-même compris dans un ensemble d’environ 1 milliers d’autres galaxies, le superamas de la Vierge, qui est lui-même inclus, depuis sa découverte par notre invitée (Hélène Courtois) en 2014, dans un superamas encore plus vaste, nommé Laniakea. « Cette découverte lui a valu d’être classée dans la liste des 50 personnalités les plus influentes de France. »

Par analogie, les fondateurs du Galetas et de urumuri pensent que d’être conscients que quelque chose de plus grand, un bout d’univers insaisissable, mais bien présent dans un coin de notre univers, un quelque chose qui nous dépasse mais dont nous faisons partie, est fondamental et fondateur pour l’association et permet de ne jamais baisser les bras, de « garder les yeux levés au ciel ». Même quand le galetas physique disparaît. Le Galetas n’est pas mort et ne peut pas mourir, tant qu’il est « relié à son Laniakea »

Le conte en scène a bénéficié de magnifiques images NASA/ESA qui nous été transmises par l’astronaute suisse Claude Nicollier qui précisait que toutes les images de l’espace appartiennent à l’humanité et sont libres de droits. Ces images ont été emportées par l’envoûtante musique Hora Lautareasca de l’album Voyage au bout des notes d’Alexandre Cellier et Jean Duperrex. De nombreux artistes, dont ont apporté leur soutien et leur coeur à cette création destinée à rendre visible et audible la vision du fondateur du Galetas et porteur de son esprit, Gilbert Bigirindavyi. Création visuelle: Simon Mocong. Ecriture finale et mise en scène: Véronique Isenmann et Maryse Grari, écrivains.

Dans le courant de l’été 2025 vous pourrez voir des extraits du spectacle filmés par Miguel Béchet, Social Movies Production et accéder à la liste complète des artistes qui ont illuminé cette création comblée de résilience.

Nous veillerons à ce que les souhaits ne restent pas des vaines paroles

Les jours de démunission ont usé nos forces. Il est temps de s’asseoir un moment.
Mun gode Allah! La joie d’avoir mis quelque chose de côté pour les enfants, un peu d’espoir de pouvoir arriver à la prochaine récolte : Puisse Dieu le Tout Puissant nous accorder des jours meilleurs! S’asseoir pour préparer un futur… Nous les femmes de l’ONG Femmes et Solidarité SOFEMA, nous ferons en sorte que les souhaits ne soient pas que des mots.

Le chant du pilon
Le chant du pilon. Les femmes se parlent de villages en villages quand elles font danser les pilons.

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Cercles de parole

Les cercles de parole font partie des approches de base de la démarche Paindesel en accompagnement communautaire

Les personnes se tiennent en un cercle fermé, dans un espace qui constitue une bulle de protection, un espace de confidentialité. Le-la « sage » qui guide le cercle entame le tour de parole avec une question, apportée par le groupe ou donnée par les circonstances, le contexte, par rapport à laquelle les participants vont s’exprimer, s’ils le souhaitent, à tour de rôle en JE.  Le bâton de parole qui passe de main en main laisse la personne libre de parler ou de se taire, de peser ses mots à l’aulne du poids du bâton. Le bâton rend visible que nul-le ne peut en être privé-e. C’est le premier pas vers la reconnaissance de chaque personne, de son identité culturelle et de ses droits. C’est un pas essentiel dans l’apprentissage de la démocratie.

Durée de la formation aux cercles de parole: 80 heures de formation. La formation comprend une partie théorique et une pratique des cercles de parole ainsi qu’une supervision de la pratique.

La formation est répartie en 4 modules distincts de 20 heures chacun. Tarif: 500.- CHF/Euros/USD par module. Chaque module est prérequis pour accéder au module suivant sauf accord préalable.
Tarif pour la formation complète: 1800.- CHF/Euros/USD
Les formations sont payables avant les sessions de formation.

 

Témoignage au Nord-Kivu, RDC

Toute notre vie dans le camp est complètement difficile, je suis venu à Masisi,  il y a des années, et je ne savais pas à qui confier mes problèmes. Grâce aux cercles de parole,  je retrouve la confiance en moi.  Je me sens totalement libéré et ça me permet d’être en confiance avec les autres. Simama* est très important pour moi car c’est simple et c’est moins difficile pour pratiquer. Nous étions malade, mais alors très malades,  on ne devrait se résigner que dans son coin.

Grâce à Simama,  j’ai repris ma joie d’antan, j’ai la confiance en moi et j’ai presque tout oublié, même si c’est difficile d’en oublier.  J’aime rentrer chez moi, j’ai repris la force,  j’ai repris l’espoir, et si je peux encore rire, c’est grâce à Simama.  Je vous exhorte d’aller chercher aussi les gens dans les villages car il y a tant de personnes qui en souffrent tellement.

Simama est le nom utilisé au Congo pour le protocole de détraumatisation qui inclut des exercices de tapotement et des cercles de parole

 

TTT: Une belle rencontre

Rencontre avec Gunilla Hamne

Ce matin à Goma belle rencontre entre notre co-président Denis Awazi Makopa et Gunilla Hamne, conceptrice de la Trauma Tapping Technique TTT, l’un des éléments importants du projet Simama, développé par Véronique Isenmann avec l’asbl SVP, Goma.

En effet Simama commence par une pratique d’exercices psychocorporels, dont la technique du tapotement contre les traumas est un élément central. Avec Simama, le tapotement associé aux sons qui entrent en résonance avec la souffrance intérieure permet de mettre les maux en mots dans les cercles de parole.

Ils se sont retrouvé au Bureau pour le Volontariat au service de l’Enfance et de la Santé, très belle asbl qui s’occupe de la réinsertion des enfants soldats dans les Kivu. Merci Gunilla pour toute l’inspiration et les belles rencontres avec nous.

Vous trouverez plus d’information sur le travail de Gunilla sur son site . Vous pouvez aussi découvrir le tapotement grâce à une animation qui permet de découvrir Step-by-Step de quoi il s’agit.

Le prix de ma peau

© Texte: Véronique Isenmann – Illustration Valeria Martini, 2017

C’était un matin comme tous les matins. A 5h l’appel du muezzin avait rempli l’air de son invocation vibrante suivi de près par les cloches des ursulines avant que n’éclatent les martèlements des forgerons.
Elle s’était levée comme toujours dans l’aube naissante, juste avant l’appel à la prière.

Illustration Valeria Martini - Texte Véronique Isenmann

Avait préparé le thé et le café pour les veilleurs de ses nuits, était sortie dans l’aurore rougeoyante, dans ce moment unique où le reflet de la lave sur les nuages au dessus du volcan se fondait dans le soleil naissant.
Elle avait enfilé son pagne deux-pièces, ajusté à la taille, celui qui lui venait de ses filles du Niger, et dont les tons de beiges et de bruns l’enveloppaient de leur douceur. Un foulard noir brillant lui couvrait les cheveux. Un collier de pacotilles offert par sa mère émettait un tintement rassurant à chacun de sa pas.

Pompidou lui ouvrit le portail à 6h00 tapantes, au moment même où l’harmonium de l’Eglise du Christ au Congo entonnait “C’est un rempart que notre Dieu” et où les chants hurlés au microphone de l’une des 1000 églises de Réveil brisaient la paix. Guerre des cultes et des adorations…
Elle marchait de cette démarche chaloupante si propre aux femmes d’Afrique, qui font d’une simple marche, une danse vers l’éternité. Ses boda boda vertes foulaient l’Avenue Mont Goma, avec son terreplein central, ses herbes folles et sa terre battue, qui constrastaient avec la noirceur de la lave des autres boulevards, ses lourds portails bleus ou rouges barricadant l’accès aux enclos et ses fleurs au parfum ennivrants débordant des murailles.
Mais ce matin elle avançait comme absente à elle-même dans le quartier des Volcans, en direction du rond-point Instigo, pour chercher le bus 17 places qui la mènerait à l’Université Libre des Pays des Grands Lacs où l’attendaient une quinzaine d’étudiant-es de vingt à cinquante ans.
Elle aimait tant d’habitude cette heure matinale, les odeurs encore vierges de putréfaction et de mauvais pétrole. Mais ce matin son coeur était si lourd et son dos ployé sous le poids des absences, des chagrins et de l’impossibilité de comprendre quoi que ce soit à ce coin du monde.

Tout à coup une nuée de gamins dépenaillés surgis de nulle part l’entourent et son cœur s’emballe. Des Maïbobos, ces gamins des rues prêts à tout à ces heures? Tout à coup elle aperçoit celle qui semble être la mère d’une partie des enfant. Alors, aux cris des enfants: “Money, money”, aux mains tendues dont certaines l’agrippent, la peur cède le pas à la colère.
Une colère inouïe et un chagrin si puissant qu’il balaie toutes les prudences. Elle apostrophe la mère: “Tu oses me demander de l’argent sans même me dire bonjour? Tu oses apprendre à tes enfants de me demander de l’argent sans leur apprendre à me saluer, moi qui suis une vieille? Tu leur permets de m’apostropher avec un “mzungu” (la blanche) qui n’a rien de respectueux et tu ne leur apprends pas à me dire : « Bonjour la vieille »? Que sais-tu de moi? Tu ne sais même pas mon nom, tu ne sais pas que mes enfants me manquent tellement que j’ai le cœur déchiré. Tu ne sais pas que j’ai laissé une bonne vie pour être ici à tes côtés et me battre avec toi pour la paix. Tu ne sais pas que ici je n’ai rien, pas d’amis, pas de soeur, personne à qui me confier, et même plus assez d’argent pour acheter de quoi manger demain. Tu ne vois que ma peau et tu lâches tes enfants sur moi pour éveiller ma pitié. Va-t-en, laisse-moi, j’en ai assez, c’est vrai tu ne m’as pas demandée d’être là. Je m’en vais, c’est terminé.”

Illustration Valeria Martini - Texte Véronique Isenmann

Son visage est inondé de larmes et son corps secoué de sanglots. Interloqués les enfants se taisent et la mère les prend contre elle, elle aussi muette devant cette coulée de mots qu’elle ne connaît pas mais dont confusément elle saisit le sens.
La vieille se détourne, incapable d’en dire plus, brisée par la violence de cette terre qui ne reconnait personne. Elle s’en va dans ses boda-boda vertes, qui font d’elle une professeur qui ne respecte pas les hiérarchies, les codes sociaux. Des savates de motards, qui la rangent au rang des plus petits parmi les petits. Elle s’en va, l’échine voutée, blessée dans son désir d’être acceptée.
… Le jour avance comme tous les jours, car ici chaque jour est semblable au précédent, et au suivant. Et c’est le matin à nouveau. Et encore le muezzin lance son appel puis les cloches des ursulines et l’aiguisage des forgerons et le raffut des crieurs de foi. Et la marche vers le bus où elle paie 3 fois plus cher parce que sa peau est blanche, et les cours où les femmes s’endorment, à force de corvée et d’absence d’avenir, et le chemin du retour dans la suffocation du trafic et l’Avenue du Mont-Goma et sa douceur. Elle a troqué son pagne du Niger contre un pagne d’ici, ses boda boda vertes contre les roses, laissé ses cheveux au vent malgré la poussière aveuglante.

L’enclos n’est plus qu’à quelques pas, quand elle entend leurs cris.
Encore! Les enfants sont là, encore.
Ils la suivent, la poursuivent, lui courent après: Muzungu, muzungu!
Combative, elle se retourne d’un bloc: “Je vous l’ai dit, je n’ai rien, je ne veux plus vous voir.”

Alors un petit la prend d’une main et de l’autre lui tend un billet déchiré et si sale qu’il est difficile d’en voir le montant. Et il dit: “Tiens muzungu, c’est de maman, pour toi, pour que tu puisses t’acheter du mkate (du pain)” et il éclate d’un rire heureux et lui glisse le billet dans sa main libre. “Maman dit: tu dois manger.” Et la nuée d’enfants fuit dans un battement joyeux, sans attendre son reste.
Elle ouvre la main et voici, un billet de 50 FC, juste de quoi acheter son mkate. Les larmes coulent à nouveau sur son visage, tandis qu’une lumière infinie se lève dans ses yeux et qu’une ébauche de sourire transforme son visage.

Enfin!

Enfin, après trois longues années, elle a été adoptée.